jeudi 7 octobre 2010

LES HABITS DE MOTS

Dans un pays nordique naquit un jour une fillette frileuse. On l'appela Lia. Elle avait toujours froid aux pieds, aux mains à la tête et au coeur.

Vers sa sixième année, ses parents décidèrent, pour une raison n'ayant rien à voir avec elle, de s'installer dans une contrée plus chaude. Lia n'eut plus les mains, les pieds et la tête glacés. Mais frileuse du coeur elle resta.

Un jour, où elle relevait comme à l'ordinaire le courrier de la boîte à lettre familiale, elle eut en main une enveloppe à son nom. Pas d'adresse, pas de nom de famille, ni d'indication d'expéditeur au dos, seulement son prénom de trois lettres, en gros caractères. Elle ne savait qui diable pouvait bien lui écrire mais elle s'attendait tout au moins à une lettre, une carte ou un poème, enfin, à des mots écrits sous une forme ou une autre...

Mais non !! La feuille dépliée ne révélait que deux traits tracés hâtivement au pinceau noir. Quelle déception ! Car Lia, qui n'entendait surtout que la partie la plus rugueuse de sa langue maternelle, à savoir les "Dépêche-toi !!", "Encore tes bêtises !!" et "Quelle maladroite !" caressait une idée folle : si nul mot doux ne parvenait à ses oreilles pourtant fines et attentives, c'était peut-être que les mots doux s'écrivaient plutôt, préféraient se nicher au creux des pages.

Elle avait donc appris très vite à lire. Les fillettes qui évoluaient dans les livres lui paraissaient plus gâtées qu'elle. Alors, Lia s'était exercée à l'immobilité et a l'absence de relief. Elle avait essayé de se rendre aussi plate et figée qu'une image, mais sans grand résultat.

Et voilà que maintenant elle détenait ce courrier mystérieux. Mais, cette feuille là parlait chinois, hébreux, latin ou grec....

Lia se souvint que la maîtresse leur avait parlé de calligraphie chinoise le mois précédent. Elle regarda attentivement les échappées d'encre soufflées et tenta de mimer les gestes supposés les avoir déposé.

Après plusieurs essais, sa main prit une sorte d'élan. Alors, Lia retourna la feuille et se mit à écrire des mots.

Des mots de toutes les couleurs et de différents timbres.
Des mots sérieux ou blagueurs.
Des mots gravissant des collines et dévalant des pentes.
Des mots qui se reposaient à l'ombre des bosquets.
Des mots qui s'éclaboussaient à l'eau glacée des ruisseaux.

Des mots à elle et à tout le monde.

A ce rythme, la page fut vite remplie. Quand Lia relut ses phrases, elle se mit à sourire en pensant qu'elle avait finalement bien reçu une lettre de mots doux à elle adressés.

Et de ce jour, Lia n'eut plus jamais froid, puisqu'elle savait, entre lecture et écriture, s'habiller de mots.....

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