mercredi 24 février 2010

ZIZANIE MARINE


A cette époque, la mer était partout. Elle recouvrait les montagnes, les rochers, la terre. C'était le royaume du vent et des vagues. L'écume jouait avec les rayons du soleil.

Au dessus de l'eau, tout était en ordre, mais en dessous, quel charivari ! Requins, harengs, murènes, dauphins, baleines, sardines s'agitaient comme une folle fourmilière.. Les uns nageaient en bancs puissants et bousculaient les solitaires, d'autres dansaient sur le ventre des endormis ou jouaient à se manger entre eux. C'étaient des querelles à n'en plus finir, des batailles de nageoires, d'écailles luisantes, de queues furieuses.

Cela dura un temps, puis les poissons se fatiguèrent de ce grand désordre qui faisait de la mer une éternelle foire d'empoigne.

-"Si nous avions un roi, peut-être la paix régnerait-elle enfin." dit la sole. Elle pensait :" Si j'étais reine, la paix régnerait à coup sûr."

Le requin entrouvrit sa mâchoire.

-"Alors, je serai votre souverain. Mes dents sont les plus terribles."
-"Ridicule ! " tonna la baleine. Je suis beaucoup plus grosse que toi, gringalet ! Je mérite la couronne !"

L'espadon agita son long rostre.

-"Je suis l'épée de la mer. Un roi a toujours une épée."

Diable ! La discussion allait sans doute durer une éternité. Mais la sole était rusée.

-"Enormes ou minuscules, ronds ou pointus, nous nageons tous, nous les poissons. Organisons donc une course dans un champ de corail. Et que le plus rapide soit notre roi."

Tout le monde fut d'accord. La sole frétilla d'allégresse.

-"Je vais gagner, songea-t-elle. Plate comme je suis, je glisse entre les eaux comme personne."

Et elle ricana du méchant tour qu'elle allait jouer à tous ces arrogants, ces vantards.
Pour donner le signal du départ, mille algues s'agitèrent comme des serpents de mer. Et la troupe des poissons s'élança dans un tourbillon de bulles et de remous, pour la conquête du trône marin.

La sole déchanta vite. Au bout du champ de corail, ce fut le hareng qui remporta la course. Le hareng, oui cet humble petit poisson argenté, qui parlait si peu et nageait si bien.

-"Ce misérable ver blanc ! Cette ridicule limace grise ! Ce gredin de hareng !" pesta la sole, la bouche tordue de jalousie.

Elle la tordit plus encore lorsque les poissons posèrent la couronne de roi sur la tête du hareng. Elle la tordit tant, que ses lèvres gardèrent à jamais ce pli dédaigneux que nous lui connaissons : le pli de la jalousie.

Voilà pourquoi, la sole a la bouche tordue, même quand elle est joyeuse et danse sous l'eau.


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